Journal d’un quotidien ordinaire
Avertissement : Cette histoire est une pure fiction. Toute ressemblance avec des faits réels, des
personnages, une institution, passés ou présents, serait complètement fortuite et totalement
involontaire. Toutefois, la construction du récit repose sur des exactitudes évènementielles et
émotionnelles.
Bonne immersion au pays du grand Age et de ses établissements…
C’est quoi ce bruit ? Qui me parle ? Mais qu’est-ce qu’elle me dit ? J’ouvre les yeux et je la
distingue à peine. Elle semble habillée tout de blanc. Elle a beau sourire, je sens qu’elle s’agite.
La lumière rentre petit à petit dans la chambre et mes yeux me font mal. Son ombre devient
forme. Au fait, quelle heure est-il ? Je suis allongée et la lumière me blesse maintenant
franchement : mes yeux pleurent. C’est sûrement le matin. Je n’ai pas envie de me lever : j’ai
bien chaud et je me sens bien… et surtout je pense bien fort à ma petite Line*. On a passé un
bon moment ensemble : cette balade en forêt était tellement agréable, joyeuse, légère… Mais…
Est-ce que c’était tout à l’heure ou… Je ne sais plus très bien.
EH, EH, OH !!!! Pourquoi elle m’enlève les bras de dessous les draps… Un peu de douceur
quand même ! Je n’arrive pas à me défendre : une douleur perce mon épaule… Mais, OH !!!
mes mains… mais elles sont toutes ridées ! Je frissonne : qu’est-ce qu’il fait froid ! Incrédule, je
continue de regarder mes mains ridées, toute abasourdie par cette fichue douleur à l’épaule :
mais quel âge ai-je donc ? Oh, elle ne peut pas me laisser tranquille : c’est agaçant à la fin ! C’est
peut-être l’heure mais NON, je ne veux pas me lever. Non, NON et NON… surtout pour aller me
laver MAINTENANT : ce n’est pas comme ça que je vais me réchauffer ! Elle n’est pas bien celle-
ci de tirer les gens de leur lit pour les emmener sous l’eau froide !!! Moi, ce que j’aime, c’est me
lever et prendre un petit-déjeuner tranquillement avant de commencer ma journée. Mais elle
insiste… Alors là, c’est le pompon : m’appeler par mon prénom ! Mais on ne se connait pas :
quel IRRESPECT !!! Et comment a-t-elle su quel était mon prénom ? Je n’y comprends plus rien.
Je veux juste être tranquille… Qu’on me fiche la PAIX…
OUF !!! Elle a disparu dans la salle de bains. Je remonte péniblement le drap : mon geste est
saccadé, mon épaule droite me fait atrocement mal…
Elle est où ma petite Line ? Pourquoi elle n’est pas là ? Pourquoi elle est partie en me laissant
ici ? Mais où suis-je ? Et puis…. Ce n’est pas ma chambre. Dans ma chambre, il y a un lit pour
2 personnes, ici, c’est un lit… pour enfant ! Mais qu’est-ce qui se passe ?
Depuis que mon Michel* est parti, ce n’est plus la même vie. Il n’y a que des choses étranges…
Et puis, je m’ennuie… drôlement… Je ne me sens jamais tranquille. Toujours sur le qui-vive…
Ça y est…. Ça revient… J’y suis…
C’est bizarre, tous les matins, ça me fait pareil : je mets du temps, de plus en plus de temps à….
retrouver ce qu’est la réalité… celle de maintenant…. Faut dire que… parfois, je n’ai pas très
envie de revenir dans cette vie-là… Je préfère rester dans mes souvenirs, dans mes rêves. Ça
m’inquiète quand même… Oui, ça m’inquiète… Parce que c’est comme pour le corps, ma tête,
elle met de plus en plus de temps à démarrer le matin. J’en ai parlé à mon docteur. Elle m’a dit
en souriant que je vieillissais. Ça, je le sais… mais moi, j’ai peur… Je ne veux pas devenir comme
ceux qui m’entourent ici, ceux qui ont la maladie d’Alzheimer. Ça me glace : le docteur m’a dit
que ce n’était pas contagieux mais il y en a quand même beaucoup ici…Et si je devenais comme
eux ?
Là, je sais que je suis à l’EHPAD comme ils disent…. Je ne sais même pas ce que ça veut dire
ce machin… En fait, je crois que c’est la même chose que maison de retraite. Il parait que c’est
mieux parce que c’est MEDICALISE… Pfff, tu parles, pas de médecin, enfin si, mais que du bla-
bla ! Et quand il y a un problème, il faut l’attendre longtemps le docteur… celle qui vient de son
cabinet. Il arrive même, qu’au final, ce soit le docteur d’ici qui fasse l’ordonnance. Oui, celui qui
s’occupe de nous mais qui n’a pas le droit d’être notre docteur. Je n’y comprends pas grand-
chose parce que, quand c’est lui qui fait l’ordonnance, il ne vient que rarement me voir : je trouve
ça toujours un peu étrange et ça ne me mets pas très en confiance pour avaler les médicaments :
pourvu que les infirmières lui aient donné les bonnes informations…. Mais comme tout le monde
n’arrête pas de répéter que c’est déjà bien d’avoir pu avoir une ordonnance, alors…
En tout cas, Michel, il a bien eu raison de partir avant : je crois bien qu’il n’aurait pas supporté
cette vie-là. Lui qui n’était pas matinal pour un sou, il n’aurait pas aimé mon Michel, qu’on le tire
comme ça du lit … Ici tous les jours, à l’heure qu’ils ont décidé… Ils, enfin c’est plutôt souvent
Elles, et c’est d’ailleurs bien mieux comme ça… Quand c’est le petit jeune, tout barbu qui vient,
la toilette me parait interminable. Je suis mal à l’aise de me mettre toute nue devant lui.
Franchement voir une vieille comme moi, toute ridée, toute moche, y’a mieux. Il est gentil, ce
n’est pas le problème mais ça me fige à chaque fois. Du coup, j’ai encore plus l’air empoté à
bouger ce corps qui ne m’obéit plus. J’ai bien essayé de demander si on ne pouvait pas faire
autrement, même à un autre moment. Mais non, enfin, ça a l’air tellement compliqué qu’il n’y a
plus qu’à supporter. Enfin oui, je me disais qu’aujourd’hui, finalement, j’ai de la chance parce que
c’est Isabelle* : elle est gentille… et puis douce et avec elle, on a le temps de discuter et même
de rire. Ça fait un bien fou. J’aime bien quand elle me parle de ses 2 petites, ça me rappelle
quand j’avais les miens à la maison. Et puis Isabelle, elle accepte toujours de me mettre de la
crème hydratante dans le dos. Ce n’est pas une coquetterie. Non, mais à mon âge, on a la peau
bien sèche et ça fait du bien un peu de crème : la peau tiraille moins après. Les autres
personnels, on dirait qu’ils ne comprennent pas ça… surtout cette Maryline*. Alors elle, je ne
peux pas la souffrir. Toujours le sourire aux lèvres quoique vous lui disiez… mais gare à vous,
elle vous attend au tournant. J’ai failli me fâcher avec Line à cause d’elle. Elle lui avait raconté
n’importe quoi à ma fille. Bon allez, c’est du passé et comme dit la chanson, n’en parlons plus.
Mais, je vous le dis, faut ravaler sa salive ici et mieux vaut faire les demandes en bonne et due
forme sous peine de remarques cinglantes. Heureusement, ils ne sont pas tous comme ça mais
je sens bien que lorsque je fais plus de demandes que d’ordinaire, cela les ennuie.
INEVITABLEMENT alors, ils me rappellent que c’est important de garder mon autonomie. On
voit bien qu’ils ne savent pas ce que c’est que de vieillir : si seulement je n’avais pas besoin
d’eux… C’est juste humiliant d’être obligée de demander de l’aide pour des choses simples de
la vie : couper sa viande, remonter son pantalon, faire son lit… Parfois, c’est tellement compliqué
que je suis épuisée quand j’ai fini de faire ces gestes tout simples… Comment voulez-vous qu’un
repas soit agréable ou que le fait de devoir aller aux WC ne soit pas une corvée ? C’est pour ça,
d’ailleurs que j’essaie d’aller moins aux toilettes même si mon docteur m’a rouspétée quand je
le lui ai dit. Elle m’a dit que j’allais faire des infections urinaires : ça me fiche la trouille… La
dernière fois, ça m’a fait perdre les pédales : je racontais et faisais n’importe quoi et le pire, c’est
que je ne me suis souvenue de rien…
Bon allez, Isabelle a tout préparé comme toujours… et ça m’a permis de rester quelques minutes
de plus bien au chaud… mais là, il faut y aller parce que je ne cours plus le marathon et que j’ai
encore mal à cette fichue épaule…Et puis, je ne veux pas la faire attendre trop longtemps
Isabelle…
Kathy LEGENDRE
Psychologue en EHPAD / Essonne puis Loire Atlantique
*Rappel : tous les personnages de ce récit sont inventés
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